Par Hannah Ryder
Face à la hausse du coût du service de la dette et à l'instabilité géopolitique, ce moment offre à l'Afrique l'occasion de repenser le discours, à sa manière.
Apprendre du passé
L'Afrique a déjà connu cette situation. Au début des années 1980, les pays africains ont sombré dans des crises de la dette déclenchées par la hausse des taux d'intérêt mondiaux consécutive aux chocs pétroliers.
Nombre d'entre eux avaient emprunté de manière responsable pour investir dans les infrastructures et se libérer de la dépendance économique coloniale.
Pourtant, lorsque la crise a éclaté, les pays africains se sont retrouvés sans soutien. Par l'intermédiaire de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) et de la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (CEA), les dirigeants ont convoqué des conférences sur la dette en 1984, 1985 et 1987. Ils ont exigé la tenue d'une conférence internationale sur la dette extérieure de l'Afrique, espérant un dialogue avec les créanciers mondiaux. Ces appels ont été ignorés.
Une tempête familière, une dynamique qui s'aggrave
Quatre décennies plus tard, le sentiment de déjà-vu est accablant.
Les chocs mondiaux – guerres commerciales, COVID-19, changement climatique – font grimper les taux d'intérêt. De nombreux pays africains paient désormais plus de 10 % d'intérêts sur les obligations souveraines à moins de 10 ans.
Le service coûteux de la dette détourne des fonds du développement, même lorsque les emprunts initiaux étaient destinés à des besoins cruciaux comme l'énergie ou les infrastructures de transport.
Il ne s'agit pas seulement d'un problème conjoncturel, mais d'un problème structurel.
Les besoins de développement de l'Afrique dépassent largement ce que les recettes intérieures peuvent couvrir.
Par exemple, la Zambie a idéalement besoin de 7 à 11 milliards de dollars par an pour ses infrastructures, soit l'équivalent de 26 à 38 % de son PIB.
Avec un revenu par habitant de 1 330 dollars et environ 70 % de ses 20 millions de citoyens travaillant dans le secteur agricole non monétaire, tenter d’élargir l’assiette fiscale pour « l’autosuffisance » revient à reléguer le pays au rang des ligues de football les moins performantes au monde, ou à abandonner complètement le football.
La Zambie n’est pas une exception.
La plupart des pays africains ont besoin de s’endetter pour se développer, mais d’une dette plus avantageuse, plus juste et plus abordable que celle actuellement disponible.
Autrement dit, la dette extérieure actuelle de l’Afrique est bien en deçà des niveaux optimaux, mais elle représente un peu plus de 10 % de la dette extérieure totale des pays en développement.
Elle est proche de celle de la Suède ou du Brésil. La dette africaine n’est un « problème » que parce que le système financier l’a, jusqu’à présent, inextricablement considéré comme tel.
Un tournant à Lomé
La conférence de Lomé représente une occasion, attendue depuis longtemps, de renverser la situation. Plutôt que de se contenter de théoriser des approches fortement conditionnelles comme le programme PPTE, ou de se contenter d'ajouter de nouvelles clauses ou garanties, de nombreux dirigeants africains prônent désormais un programme plus ambitieux qui redéfinit le rôle de la dette et remet en question les normes financières mondiales.
Parmi les sujets abordés figurent :
La dette comme outil stratégique : la dette est-elle une mauvaise chose ou un outil nécessaire ? Quelles sont les utilisations les plus stratégiques de la dette ? Quelles conditions de concessionnalité et quelles clauses les pays africains devraient-ils exiger pour minimiser les coûts du capital, notamment face aux risques climatiques ?
Améliorer le processus de restructuration : quelle est la vision de l'Afrique pour un processus de restructuration plus juste, plus rapide et centré sur l'emprunteur ? Quels créanciers sont les plus généreux en termes de conditions initiales et de négociations de reprofilage ? Comment concevoir un système qui encourage une course au sommet entre les créanciers ?
S'attaquer aux biais mondiaux : comment les institutions mondiales telles que le FMI, la Banque mondiale et les agences de notation évaluent-elles l'Afrique et la dette, et quels sont les biais qui doivent être démantelés ? Quelles nouvelles analyses les institutions africaines peuvent-elles apporter sur l'Afrique, la dette et le monde afin de façonner des perspectives objectives sur les atouts relatifs de l'Afrique à l'échelle mondiale ?
Réformer les institutions de Bretton Woods : Comment ces institutions peuvent-elles mieux servir l'Afrique sur le plan opérationnel ? Comment l'Afrique peut-elle utiliser une gouvernance élargie au sein de ses conseils d'administration et du G20 pour impulser un changement décisif, même en cas de désaccord des principaux actionnaires ?
Renforcer les institutions financières africaines : Que doivent faire les pays africains pour protéger et développer les institutions et mécanismes financiers africains tels que le Fonds africain de développement, au-delà de l'apport de ressources internes au continent ? Comment accélérer la mise en place d'un Fonds monétaire africain, d'une Banque africaine d'investissement et d'une Banque centrale africaine ?
Renforcer le secteur privé : Comment canaliser la dette souveraine pour accroître les possibilités de croissance du secteur privé africain, par exemple par le biais de règles de passation de marchés et de contenu local, ou de réglementations sur les partenariats public-privé ? Quels sont les meilleurs cas d'école africains ?
Un plan mondial mené par l'Afrique
Convoquée par la Commission de l'Union africaine et accueillie par le président togolais Faure Gnassingbé, cette conférence est résolument tournée vers l'Afrique. Il ne s'agit pas de solliciter la compassion ou le salut, mais de proposer un nouveau modèle africain qui considère la dette comme un outil de progrès, et non comme un piège.
Il s'agit de présenter des innovations audacieuses, portées par l'Afrique – par exemple le club des emprunteurs de Development Reimagined – qui abordent la dette africaine non pas comme un problème mondial, mais comme une nécessité structurelle et une opportunité d'efficacité mondiale.
Il est crucial que les résultats de Lomé éclairent les débats mondiaux, de la quatrième Conférence internationale sur le financement du développement (FfD4) en Espagne au G20 en Afrique du Sud et au Jubilé 2025.
Le message de l'Afrique est clair : il est temps de parvenir à un véritable nouvel accord sur la dette.
Comme le dit le proverbe africain : « Tant que le lion n'apprendra pas à écrire, toute histoire glorifiera le chasseur. »
À Lomé, nous, Africains, prendrons la plume et éviterons que l’histoire ne se répète.
L'auteure Hannah Wanjie Ryder est PDG de “Development Reimagined”, un cabinet de conseil en développement dirigé par des Africains.
Avertissement : Les opinions exprimées par l’auteur ne reflètent pas nécessairement celles de TRT Afrika.