Tous les regards tournés vers Istanbul pour les pourparlers de jeudi entre la Russie et l’Ukraine, alors qu’un vent d’optimisme souffle sur la possibilité qu’une issue diplomatique émerge enfin dans la guerre la plus meurtrière que l’Europe ait connue depuis des décennies.
L’attention porte notamment sur la composition des délégations, la perspective d’une rencontre entre les présidents russe et ukrainien, ainsi que sur les déclarations du président américain évoquant un éventuel détour par la Türkiye lors de sa tournée dans le Golfe.
Mais selon les analystes, ces discussions revêtent une importance propre. Elles devraient aborder une série de questions sensibles : modalités d’un cessez-le-feu, territoires contestés, neutralité militaire de l’Ukraine et levée des sanctions.
Oleg Ignatov, analyste principal pour la Russie au sein de l’International Crisis Group, une ONG indépendante spécialisée dans la prévention et la résolution des conflits armés, estime qu’il s’agit d’une occasion rare de mettre fin au conflit.
"C’est une opportunité très significative. Tout le monde devrait soutenir ces négociations. C’est la seule vraie chance de mettre fin à cette guerre".
Russie : sécurité, neutralité, sanctions
Les pourparlers d’Istanbul pourraient relancer le processus de paix, au point mort depuis mars 2022, où une ébauche d’accord avait été rédigée mais ensuite rejetée par Kiev.
Selon Ignatov, Moscou cherchera à imposer une neutralité ukrainienne formalisée par des changements constitutionnels, ainsi que des garanties empêchant toute future expansion de l’OTAN vers l’Est.
"La Russie négociera sur la base des accords d’Istanbul de 2022", explique-t-il. "L’Ukraine s’est retirée des discussions en avril de cette année-là."
Pour Moscou, la question sécuritaire prime sur toutes les autres, contrairement aux États-Unis qui mettent davantage l’accent sur les territoires.
Un point crucial est l’exigence russe que Kiev renonce officiellement à intégrer l’OTAN.
Cela impliquerait une révision constitutionnelle.
La Russie réclame également des garanties supplémentaires de l’OTAN et peut-être un traité distinct concernant ses propres préoccupations sécuritaires.
Autre exigence : la démilitarisation partielle de l’Ukraine, avec des restrictions sur la taille de son armée, les armes qu’elle peut produire ou acquérir, et la technologie militaire.
Moscou compte aussi remettre sur la table la question des lois linguistiques et éducatives, exigeant une meilleure protection des russophones.
Enfin, les sanctions occidentales seront un enjeu majeur. Moscou veut qu’elles soient levées dans le cadre d’un éventuel accord global, surtout après l’adoption par l’UE d’un 17e paquet de mesures punitives.
Ukraine : cessez-le-feu immédiat, aucune concession sur la souveraineté
Pour Kiev, la priorité absolue est l’obtention d’un cessez-le-feu immédiat, total et sans condition.
L’Ukraine refuse catégoriquement toute concession territoriale ou réforme constitutionnelle imposée.
"L’Ukraine est prête à geler le conflit, mais sans engagement écrit sur ses territoires ou sa sécurité", précise Ignatov.
Shelby Magid, directrice adjointe du Eurasia Center, un centre d’analyse spécialisé dans les enjeux politiques et sécuritaires de l’Eurasie rattaché à l’Atlantic Council, un Think tank américain influent, affirme que la ligne rouge ukrainienne est un cessez-le-feu inconditionnel couvrant la terre, la mer et les airs, pour une durée de 30 jours.
"L’Ukraine est claire : elle n’acceptera pas de cessez-le-feu partiel, surtout en mer où elle dispose d’un certain avantage stratégique."
Elle doute également qu’une rencontre directe ait lieu entre Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine.
Par ailleurs, Kiev formule plusieurs exigences humanitaires : restitution des prisonniers de guerre, retour des enfants enlevés et libération des civils détenus.
Pour l’instant, les autorités ukrainiennes se concentrent sur la possibilité d’une trêve temporaire, sans envisager un accord de paix définitif.
"Ils cherchent à obtenir une trêve de 30 jours, sans conditions. Cela doit s’appliquer sur tous les fronts : terrestre, aérien et maritime".