Par Pauline Odhiambo
La jeune mère soudanaise Fatima* pensait que le pire était derrière elle lorsqu'elle a trouvé refuge au Tchad, comme des milliers d'autres fuyant le conflit incessant dans leur pays natal.
La vie semble plus sûre au Tchad, mais pas nécessairement plus facile. Les réductions des financements internationaux et l'afflux constant de réfugiés compliquent la tâche des pays hôtes comme le Tchad pour fournir aux réfugiés comme Fatima les services essentiels dont ils ont besoin.
« Quand je suis arrivée ici, il y avait un espace sécurisé où les femmes pouvaient recevoir des soins médicaux et un soutien psychologique après avoir subi des violences », raconte la jeune femme de 32 ans à TRT Afrika, tenant son fils en bas âge dans un camp de réfugiés bondé.
« Ce centre ne fonctionne plus. Où pouvons-nous aller maintenant ? » s’interroge-t-elle.
Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) avertit que la réduction des financements, en particulier des États-Unis, paralyse les services de protection essentiels, exposant les populations déplacées à un risque accru d'abus, de trafic, de retour forcé dans les zones de conflit et même de mort.
Alors, tout espoir est-il perdu sans l'aide occidentale ?
L’autre face des réductions budgétaires est l’émergence d’initiatives régionales et locales, ainsi que d’autres alternatives pour réduire l’écart d’aide, voire le combler.
Tout n’est pas perdu.
La Turquie est à l’avant-garde en fournissant un soutien humanitaire de plusieurs millions de dollars au Soudan, un pays en guerre depuis 2023.
Dans un geste récent, le deuxième « Navire de la Bonté » de la Turquie, transportant 1 605 tonnes de nourriture, vêtements et produits d’hygiène, est arrivé à Port-Soudan le 6 mai 2024. Il a été envoyé par la Fondation d’Aide Humanitaire Turque (IHH).
En juillet 2024, la Turquie a également envoyé un navire avec 2 408 tonnes d’aide humanitaire au Soudan, comprenant des médicaments, des vêtements, des produits d’hygiène et des abris indispensables.
Le Croissant-Rouge turc, en partenariat avec le Croissant-Rouge soudanais, a apporté une aide vitale à plus de trois millions de personnes depuis le début de la crise. L’agence humanitaire turque TIKA travaille également dans de nombreux pays africains pour aider les plus démunis.
Au Tchad, le Centre d’Aide Humanitaire et de Secours du Roi Salman (KSrelief) a fourni 4,5 millions de dollars américains en assistance d’urgence pour l’hébergement des réfugiés soudanais, garantissant à des milliers de familles déplacées des lieux sûrs où séjourner.
Le Marché Commun de l’Afrique Orientale et Australe (COMESA) s’est associé au HCR pour intégrer les réfugiés dans les systèmes économiques nationaux au Tchad.
L’idée est de créer des opportunités pour les petites entreprises, de fournir des formations professionnelles, d’organiser des programmes d’emploi et de renforcer la résilience locale face aux réductions de financement.
En Afrique de l’Ouest, des initiatives communautaires dirigées par des réfugiés comblent les lacunes en matière de soutien médical et psychosocial. Des cliniques bénévoles et des groupes de soutien par les pairs ont été créés pour les survivants de violences basées sur le genre.
Dilemme du déplacement
Les deux tiers des réfugiés dans le monde vivent dans des pays voisins, dont beaucoup sont déjà confrontés à la pauvreté et à l’instabilité. La diminution des financements internationaux aggrave la pression sur les communautés hôtes et les agences humanitaires.
« Nous voyons chaque jour les conséquences directes de ces réductions », déclare le Dr Zubeida Swaleh, médecin traitant des réfugiés dans le nord du Kenya.
« Les survivants de viol n’ont pas accès à des soins médicaux appropriés. Les enfants séparés de leurs familles sont plus vulnérables au trafic. Ce ne sont pas que des statistiques ; ce sont des vies en danger. »
Au Soudan du Sud, 75 % des espaces sécurisés du HCR pour les femmes et les filles ont fermé, laissant environ 80 000 survivantes de violences sexuelles sans soutien médical ou juridique.
Dans la Corne de l’Afrique orientale et la région des Grands Lacs, un million d’enfants vulnérables – dont beaucoup non accompagnés – sont exposés à des risques accrus d’abus, de mariages précoces et de recrutement par des groupes armés.
Au Mali, l’enregistrement biométrique de près de 20 000 demandeurs d’asile a été suspendu, les laissant sans statut légal, permis de travail ou accès aux services publics.
En République Démocratique du Congo (RDC), l’enregistrement des naissances de plus de 14 000 enfants réfugiés centrafricains et sud-soudanais est en attente, augmentant leur risque d’apatridie.
« Sans reconnaissance légale, les réfugiés deviennent invisibles », explique Jean-Claude Nsengiyumva, avocat burundais spécialisé en droits humains.
« Ils ne peuvent pas travailler, ils ne peuvent pas se déplacer librement, et ils deviennent des cibles faciles pour l’exploitation. »
Les réductions de financement ont également affecté les programmes de lutte contre les violences basées sur le genre en Afrique de l’Ouest et centrale, notamment au Burkina Faso, au Tchad et au Nigeria.
Solutions durables
Les pénuries de financement ont également impacté les programmes de rapatriement volontaire, qui aident les réfugiés à rentrer chez eux en toute sécurité lorsque les conditions le permettent. Au Tchad et au Cameroun, 12 000 réfugiés centrafricains prêts à rentrer chez eux attendent encore le soutien nécessaire pour le faire.
« Je veux retourner dans mon pays, mais pas si cela signifie revenir à la guerre », dit Jacques*, père de trois enfants vivant dans un camp de réfugiés au Cameroun. « S’il n’y a pas d’aide, comment reconstruire ma vie ? »
Au milieu de la crise, certains gouvernements africains et groupes humanitaires recherchent des stratégies alternatives de réintégration.
L’Union africaine et d’autres blocs régionaux ont commencé à discuter de politiques d’inclusion économique qui pourraient aider les réfugiés à trouver une stabilité à long terme sans dépendre uniquement de l’aide étrangère.
Des initiatives dirigées par des réfugiés, telles que des programmes agricoles et des ateliers de développement des compétences, permettent déjà aux communautés déplacées de devenir autonomes, offrant une lueur d’espoir dans l’incertitude.
Les experts avertissent des conséquences dévastatrices à long terme si les réductions des financements mondiaux dictent la manière dont l’Afrique répond au déplacement.
« Lorsque vous supprimez les services de protection, vous ne faites pas que nuire aux réfugiés – vous déstabilisez des régions entières », avance Lorna Mwiti, chercheuse basée à Nairobi sur les migrations forcées. « Les personnes désespérées prendront des mesures désespérées, que ce soit en entreprenant des voyages mortels ou en se tournant vers des groupes armés pour survivre. »
Alors que le HCR célèbre 75 ans de protection des réfugiés, il exhorte la communauté internationale à intensifier ses efforts.
« Les attaques contre les civils doivent cesser, et un passage sûr doit être accordé à ceux qui fuient pour sauver leur vie. La communauté internationale doit augmenter de toute urgence son soutien aux réfugiés », martèle Magatte Guissé, représentante du HCR au Tchad.
Pour des réfugiés comme Fatima, les enjeux ne pourraient pas être plus élevés. « Nous avons déjà tant perdu », dit-elle. « S’il vous plaît, ne laissez pas le monde nous oublier. »
Les noms marqués d’un astérisque (*) ont été modifiés pour protéger l’identité des réfugiés.