FRANCE
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Aboubakar Cissé, victime de l’islamophobie
Le meurtre particulièrement sauvage et filmé d’Aboubakar Cissé par Olivier H à l’intérieur de la mosquée Khadija de La Grand-Comb marque un tournant pour les musulmans qui dénoncent la négation de l’islamophobie et l’indifférence générale.
Aboubakar Cissé, victime de l’islamophobie
Manifestations à Paris contre la mort de Aboubakar Cissé / AA
il y a 11 heures

Une minute de silence à l’Assemblée nationale, arrachée à Yaël Braun-Pivet, sa présidente, par la Gauche. Après une fin de non-recevoir, la demande de parlementaires de gauche en faveur d’une minute de silence à la mémoire du jeune Aboubakar Cissé a abouti. 


Boudé par les élus RN, le moment de recueillement met en lumière la négation du caractère islamophobe de ce meurtre. Pis, il illustre une fois de plus la teneur du débat médiatique et politique où on se dissipe à ergoter à propos du caractère "islamophobe" ou "anti-musulman" de cet acte d’une violence extrême. 


Poignardé à 50 reprises, A. Cissé, au matin du 25 avril, a vu sa bienveillance se refermer sur lui comme un piège. Venu à la mosquée Khadija pour procéder à des tâches d’entretien, le fidèle est alors interrompu par Olivier H., 21 ans. Le jeune homme qui vient de s’introduire dans la mosquée, le pas hésitant, donne l’impression de vouloir prier. Aboubakar Cissé, l’accueille dans la grande salle et lui montre le rituel de la prière. C’est alors qu’Olivier H, debout derrière lui, brandit un large couteau et le frappe à 50 reprises. Acte prémédité, la scène est filmée par le meurtrier qui, devant sa victime agonisante, s’enorgueillit : "Je l’ai fait !" et profère des insultes islamophobes : "Ton Allah de m**** !" Après s’être rendu compte de la présence de caméras dans la mosquée, le meurtrier lâche : "je vais être arrêté, c’est sûr !". La vidéo, postée sur snapchat, fait bien sûr le tour des réseaux sociaux. Un procédé qui n’est pas sans rappeler le massacre de masse perpétré dans une mosquée de Christchurch (Nouvelle-Zélande), le 15 mars 2019. Affublé d’une caméra Go-Pro, Brendan Tarrant avait assassiné 51 fidèles musulmans dont des adolescents, venus prier en famille. 

 

Si l’attaque de La Grand-Combe a fait un mort, l’appartenance religieuse de la victime semble être au cœur de la motivation d’Olivier H. Pourtant, l’affaire ne prend une dimension plus médiatique qu’à partir du samedi 26 avril. Il faut dire que l’opinion était encore sous le choc du meurtre, au couteau également, de Lorène, 15 ans. 


Jeudi 24 avril, un lycéen de 15 ans de l’établissement privé Notre-Dame-de-toutes-aides à Nantes (Loire-Atlantique) a attaqué quatre de ses camarades, dont la jeune fille qui décédera des 57 coups de poignard. Si Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, chargé de la sécurité publique et des cultes, se rend l’après-midi même à Nantes au chevet des proches de la victime, comment expliquer son déplacement à la préfecture d’Alès, 48 heures après l’assassinat du jeune Aboubakar tout comme un premier post sur X. 


S’il ne s’agit pas de comparer les victimes, ni les douleurs, mais plutôt de mettre en cause le manque de réactivité du ministre de l’Intérieur, lui d’habitude si prompt à réagir au triptyque : islam, Algérie, immigration ? Certes, dès le vendredi 25, Bruno Retailleau se fendait d’un message de soutien à la famille déplorant "ce crime épouvantable". Mais les mots sonnent creux et ne sont pas à la hauteur du moment. Du moins pour les Français de confession musulmane. "Il en n’a rien à faire", souffle Sofiane, 45 ans, cadre dans la région parisienne. "Pas besoin d’avoir bac+10 pour le voir. Et puis, il porte une responsabilité dans ce drame". Les mots sont forts mais assumés. "Que fait-il depuis qu’il est au pouvoir ? Il tape sur les musulmans avec la complicité des chaînes d’information". 


D’ailleurs, la timidité des termes employés lors de son déplacement exacerbe les critiques chez les populations concernées, évitant un mot : islamophobie. "Je trouve regrettable que le terme n’ait pas été prononcé", regrette Lisa, 30 ans. "On parle sans détour d’antisémitisme et c’est une très bonne chose, mais toutes les formes de haine doivent être dénoncées", clame-t-elle, dépitée. "Ce deux poids, deux mesures renforce le sentiment que les musulmans ne sont pas traités comme les autres…cette ambiance et cette hostilité finit par nous faire nous sentir étrangers chez nous", poursuit-elle.

 

Lisa touche là une question centrale. La mort violente d’Aboubakar révèle, en creux, "le double-standard des autorités mais aussi des médias français face à l’islamophobie", constate Sofiane. Surtout, "l’indifférence que j’ai constatée m’interpelle. Sur les chaînes d’info, j’ai entendu à plusieurs reprises que ce drame frappait la communauté musulmane. Seulement elle ?", interroge-t-il. Confirmation de cette réalité informulée, l’Etat, en lien avec une association, a lancé ADDAM une plateforme de signalement contre la haine antimusulmane. 

 

La situation est préoccupante. Entre janvier et mars 2025, la direction nationale du renseignement dénombre 79 actes antimusulmans pour reprendre les éléments de langage du gouvernement. Une hausse de 72% par rapport à l’an dernier sur la même période. Certes, la création de l’ADDAM est salvatrice, mais pas assez pour endiguer le scepticisme chez certains. "Les discours antimusulmans sont une lame de fond qui remonte au moins à l’ère Sarkozy avec le mouton dans la baignoire et l’identité nationale", tempête Sofiane. 

Devenu symbole de l’islamophobie décomplexé, l’image avait marqué à l’époque. Invité sur un plateau de télévision en 2007, Nicolas Sarkozy avait alors ciblé les musulmans qu’il accusait d’égorger les moutons dans la baignoire de leur logement, en dehors de toute règle sanitaire. La sortie avait provoqué l’indignation des Français musulmans. Depuis, l’omniprésence des chaînes d’information plus attachées à l’audience- inutile de rappeler les dégâts sur la qualité de l’information-   qu’à la vérité des faits et les réseaux sociaux ont accentué la polarisation des opinions et des analyses. Avec une victime directe, les musulmans. "Quand j’entends Bruno Retailleau crier "à bas le voile ! lors d’une conférence en mars dernier, comment peut-il en être autrement ?".

 

Les affirmations de Sofiane s’entendent. L’expression "communauté musulmane" est revenue à plusieurs reprises sur les plateaux des chaînes d’information en continu. Une catégorisation qui permet de lier ce drame aux musulmans de France, uniquement. De le détacher de la société française. Comme si les populations musulmanes, leur effroi, leur peur, leur colère, étaient exogènes à la nation française. Une seconde mort pour Aboubakar. 

TRT Global - France : les actes islamophobes explosent

Soixante-dix-neuf actes anti-musulmans ont été recensés entre janvier et mars 2025, soit 72 % de plus que sur la même période en 2024.

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