Depuis le 7 octobre 2023 la communauté juive de France soutient quasi unanimement la réponse militaire israélienne aux attaques. 48 Français ont été tués dans ces attaques. Huit ont été pris en otage. Seules quelques-unes comme l’Union juive pour la paix dénoncent cette guerre.
Quelques phrases critiques émanant de trois personnalités juives sont comme une petite lézarde dans cette cohésion pro-Netanyahu.
La plus célèbre est Delphine Horvilleur, femme rabbin, très médiatique et considérée comme une personne modérée. Le 8 mai dernier, elle a publié sur le site de la revue Tenou’a un éditorial, où elle explique son silence de 19 mois. Pour la première fois, elle dénonce les opérations militaires, la faim utilisée comme arme de guerre, le nettoyage ethnique en cours. La rabbine appelle Israël à la raison, c’est une sorte d’amende honorable teintée de référence biblique.
“C’est donc précisément par amour d’Israël que je parle aujourd’hui. Par la force de ce qui me relie à ce pays qui m’est si proche, et où vivent tant de mes proches. Par la douleur de le voir s’égarer dans une déroute politique et une faillite morale. Par la tragédie endurée par les Gazaouis, et le traumatisme de toute une région”, écrit-elle.
Elle explique s’être tue pour ne pas attiser l’anti-sémistisme, appelle Israël à un sursaut de conscience au nom du “refus absolu de l’annihilation d’un autre peuple”.
Si Delphine Horvilleur cite la Bible en début de son éditorial avec un “Tu aimeras ton prochain comme toi-même”, on pourrait lui répondre “Hélas, hélas, hélas” comme le dit le roi d’Israël dans cette même Bible.
Hélas, Delphine Horvilleur n’a depuis 19 mois eu aucun mot pour les enfants et les femmes tués sous les bombes. Son compte X regorge d'accusations d’anti-sémitisme à l’égard des voix pro-palestiniennes, accompagnées de messages de soutien aux otages israéliens et à leurs familles.
Hélas, il aura fallu 52.928 morts à Gaza, 100 000 disparus et deux millions de personnes réduites à la famine pour que la rabbine se rappelle l’injonction biblique qu’elle cite.
“C’est une protestation esthétique” juge Georges Yoram Federmann, psychiatre engagé dans les manifestations pro-palestiniennes qui analyse pour TRT Français ces quelques messages sur Gaza.
Pour lui, ces appels à stopper le génocide sont des protestations qui n’en sont pas. “C’est mieux que rien mais cela ne peut fonctionner auprès d’une communauté juive de France aveuglée.” Le psychiatre avance un chiffre en guise de démonstration, la communauté juive strasbourgeoise compte environ 20 000 personnes, seules dix d’entre elles dénoncent les attaques israéliennes sur la population de Gaza.
“Protestation esthétique”
Anne Sinclair, la journaliste parisienne et Johann Sfar, le dessinateur de BD et auteur niçois sont également sortis du silence. Le 9 mai, l’ancienne journaliste Anne Sinclair condamne la situation à Gaza sur son compte Instagram. Elle ne remet pas en cause la guerre lancée par Israël contre Gaza. Elle écrit seulement, “la forme des actions que mène l’armée israélienne à la demande du gouvernement Netanyahu est indéfendable”.
Johann Sfar, l’auteur et dessinateur de BD, fait également son mea culpa, ou en tout cas nuance son soutien inconditionnel à Israël.
Le 8 mai, ll estime sur Instagram “contraire à la morale humaine et à l’éthique juive de se taire face aux déplacements de population forcés et au nettoyage ethnique qu’annonce le ministre Smotrich.” Quelques jours plus tard, il rappelle aussi sur Instagram l’opposition d’une grande partie de la société israélienne à la politique de Netanyahu.
Les timides dénonciations de ces deux personnages très connus des Français accusent le gouvernement Netanyahu. On sent une envie de prendre ses distances la politique israélienne, un malaise face au génocide de moins en moins niable.
Mais comment interpréter, donc, ces quelques mots ? Comment accueillir ces prises de conscience tardives ? Les lignes semblent, pour le moins, bouger. Des personnalités importantes dénoncent le génocide à Gaza.
Ces trois voix prennent malgré tout le risque d’être critiquées par leur propre communauté car, comme le dénonce le psychiatre strasbourgeois depuis le 7 octobre 2023, toute personne juive est assignée à une identité précise : “Ne sont considérés comme juives, que les personnes qui soutiennent la politique d’Israël”.
En France comme partout en Occident, les lobbys juifs ont martelé que “critiquer Israël équivalait à de l’anti-sémitisme.” Et en effet, depuis la publication de leurs messages, ces trois personnes sont attaquées sur les réseaux sociaux par les soutiens de Netanyahu, ils sont accusés d’être des “Juifs de cour” et de “diviser Israël”, voire de “salir Israël”.
Des prises de conscience tardives ?
Est-ce que cela efface les 19 mois pendant lesquels ce même Johann Sfar a, sur tous les plateaux de télévision, accusé La France insoumise et les étudiants de SciencesPo d’anti-sémitisme ?
Il ne faut pas chercher dans ces messages critiques un mot dénonçant la colonisation de la Palestine. Il n’y en a pas. Il ne faut pas chercher une remise en cause de cette guerre à armes inégales qui oppose un groupe de résistants de quelques dizaines de milliers d’hommes à une armée suréquipée dont les bombes ultra-puissantes sont fournies sans limite par les Etats-Unis. Il n’y a pas non plus un mot sur la population civile enfermée dans l’enclave de Gaza à cause d’un blocus vieux de presque 20 ans.
Georges Federmann est très isolé dans sa dénonciation des attaques israéliennes sur Gaza. Il jeûne deux jours par semaine en soutien des soignants français en grève de la faim depuis le 31 mars, un geste de plus pour dire son opposition à la voie prise par un pays auquel il se sent malgré tout lié.
Sans hésiter, il reprend les mots de Gérard Haddad, psychiatre français et de Yeshayahu Leibovitz, deux personnalités juives qui ont dénoncé l’évolution politique en Israël qualifiant très tôt la politique ultra-nationaliste, la xénophobie de judéo-fascisme ou de judéo-nazisme.
Georges Federmann estime que la politique actuelle en Israël est bel et bien de “l’israélo-nazisme”. Il désespère de voir sa communauté soutenir sans hésiter la politique de Tel Aviv. En septembre 2024, il a demandé, dans une tribune dans le journal local, qu’on retire le drapeau israélien devant la synagogue de Strasbourg, Il va sans dire que cela ne sera pas suivi d’effet.
“L’adhésion à politique d’Israël, c’est un racisme de classe”
“Le fait d’adhérer comme ils le font à l’israélo-nazisme, c’est leur responsabilité, ils ne sont pas innocents, ils défendent un projet raciste. C’est un racisme de classe, ils se sentent légitimes à être colonisateurs. En se taisant, ils ne font qu’encourager le processus.”
Son analyse replace ce soutien aveugle à la politique de Netanyahu dans l’histoire coloniale française : “C’est leur manière de ne pas accepter que les Français arabes et noirs aient les mêmes droits. Ils sont Français mais une France clivée. Cette adhésion à l'extermination des Arabes, c’est une France qui montre son visage. Le racisme dirigé vers les Arabes n’est pas autre chose qu’un racisme post-Algérie. C’est aussi une recherche de sens pour la communauté juive de France, on va chercher du sens dans l’Etat d’Israël éternel”.
Ségolène Royal les appellent à se taire
D’autres personnes ont dénoncé la crise morale tardive de ces trois personnalités juives françaises. L’ancienne ministre socialiste Ségolène Royal les a appelées le 10 mai sur son compte X à “se taire”.
“Ceux qui viendront verser une larme, quand les intentions génocidaires seront réalisées, parce qu’ils se sont tus, qu’ils se taisent à jamais, honte à eux. (...) Ceux qui réclament la libération des otages à une population qui n’y est pour rien, afin de justifier leur éradication et le vol colonial de leur terre où ils sont depuis 2000 ans, honte à eux”.
Georges Federmann regrette avec tristesse la voie prise par Israël. “Cela commence dès les années 80 en fait, du moment où Israël devient un Etat occupant, du moment où Israël occupe des territoires de manière illégale, c’est la fin d’Israël. Le pays ne peut pas échapper à cette aliénation religieuse, le judaïsme comme essence de ce pays. Israël ne peut pas échapper à l’expulsion des Cisjordaniens, à l’extermination des Gazouis, ne peut pas échapper au génocide et au nettoyage ethnique“.