Agathe Kanziga, veuve de Juvénal Habyarimana, le président hutu dont l'assassinat le 6 avril 1994 avait déclenché les massacres contre la minorité tutsi, est visée depuis 2008 par une enquête en France pour complicité de génocide et de crimes contre l'humanité, ouverte après une plainte du Collectif des parties civiles pour le Rwanda. L'avion qui transportait son mari avait été abattu en phase d'atterrissage à Kigali.
Selon des sources proches du dossier, la juge d'instruction du pôle “crimes contre l'humanité” du tribunal judiciaire de Paris chargée du dossier a signé vendredi une ordonnance de fin d'information. Placée depuis 2016 sous le statut intermédiaire de témoin assisté, Agathe Habyarimana, 82 ans, échappe à ce stade à un procès.
Cette décision pourrait préfigurer un non-lieu, d'ici quelques mois. Mais le Parquet national antiterroriste (Pnat) a saisi en septembre la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris en vue de la mise en examen de Mme Habyarimana pour “entente en vue de commettre un génocide”. Une audience à huis clos doit se tenir mercredi.
"Mme Habyarimana attend avec une grande sérénité l'issue de la procédure qui vient de connaître un nouveau coup de théâtre aujourd'hui avec la décision rendue par la juge d'instruction, qui anéantit la démarche de l'accusation", a réagi son avocat Philippe Meilhac. "Il est temps que le non-lieu qui s'impose soit prononcé au plus vite", a-t-il déclaré.
La juge chargée du dossier, en co-saisine avec une autre magistrate spécialisée, a conclu, dans une ordonnance datée de vendredi et rejetant plusieurs demandes du Pnat, qu'il "n'existe pas à ce stade d'indices graves et concordants contre Agathe Kanziga [Habyarimana] qu'elle ait pu être complice d'acte de génocide" ou pu "participer à une entente en vue de commettre le génocide".
"Si la rumeur est tenace, elle ne peut faire office de preuve en l'absence d'éléments circonstanciés et concordants", poursuivent les magistrates, soulignant que les "témoignages à charge se révèlent contradictoires, incohérents, voire mensongers".
La juge a entendu une nouvelle fois Agathe Habyarimana en décembre ainsi que des témoins, mais refusé d'autres "actes inutiles" au regard du "délai raisonnable déjà largement dépassé", selon l'ordonnance.
"Victime"
Pour les juges, Agathe Habyarimana "apparaît non comme auteure du génocide, mais bien comme victime de cet attentat terroriste" et "on ne peut établir la preuve d'un lien entre les premiers assassinats perpétrés par certains membres de la garde présidentielle ou de l'armée et un ordre qu'elle aurait donné" le soir du 6 avril.
Le 9 avril 1994, elle a été exfiltrée vers l’Europe, avec sa famille, à la demande du président français François Mitterrand, proche de son mari.
Selon les juges, il n'existe "aucun discours public d'Agathe Kanziga proférant des discours de haine ou d'appel au génocide" ; "aucun témoignage ne (la) relie" à des listes de Tutsi à tuer ; "aucune trace" qu'elle ait pu intervenir pour faire de la propagande sur la Radio Télévision des Mille Collines, qui diffusait des messages de haine anti-Tutsi, ou de l'avoir financée.
Les juges répondent ainsi point par point aux accusateurs d'Agathe Habyarimana qui la présentent comme l'une des dirigeantes de l'"akazu", un cercle proche du pouvoir ayant influencé le régime. Une implication qu'elle conteste.
Patrick Baudouin, avocat de la FIDH (Fédération internationale pour les droits humains), partie civile dans le dossier, a "déploré l'absence de mise en examen, alors qu'existent des éléments à charge largement suffisants".
Dans un entretien à l'AFP en 2024, l'ancien procureur national antiterroriste Jean-François Ricard avait expliqué qu'il lui était reproché "les mots d'ordre qu'elle aurait pu donner".
La France a jusqu’à présent refusé son extradition vers le Rwanda, sans toutefois lui accorder l'asile. Installée en France depuis 1998, elle y vit donc sans statut légal.
D'avril à juillet 1994, le génocide au Rwanda a fait selon l'ONU 800 000 morts, membres de la minorité tutsi ou Hutu modérés, tués par les Forces armées rwandaises et les milices extrémistes hutu Interahamwe.