Le 8 mai 1945, alors que la France et ses alliés célèbrent la capitulation de l’Allemagne nazie, une série d’événements tragiques s’abat sur l’Est algérien, notamment à Sétif, Guelma et Kherrata.
Ces villes deviennent le théâtre d’une répression militaire et policière d'une ampleur exceptionnelle, engendrant une fracture profonde dans l’histoire coloniale de la France en Algérie.
Officiellement, les autorités coloniales évoquent quelques milliers de morts. Les historiens français et algériens parlent quant à eux de 20 000 à 45 000 victimes algériennes.
Ces massacres sont longtemps restés occultés en France, alors qu’ils sont perçus en Algérie comme l’un des actes fondateurs de la lutte pour l’indépendance.
L’espoir de l’armistice
En 1945, l’Algérie est encore colonie française depuis plus d’un siècle. Les Algériens musulmans, majoritaires, sont des citoyens de seconde zone.
Malgré leur mobilisation durant la Seconde Guerre mondiale, où plus de 130 000 Algériens musulmans ont combattu pour la France, leur situation juridique, économique et politique n’a pas évolué.
Le “code de l’indigénat” punit les autochtones de sanctions spéciales et la citoyenneté française leur est inaccessible, sauf renoncement à leur statut islamique.
Le Parti du Peuple Algérien (PPA), dirigé par Messali Hadj, réclame l’indépendance et est interdit depuis 1939. Ses militants, via les Amis du Manifeste et de la Liberté (AML), demandent pacifiquement des droits politiques.
La Charte de l'Atlantique signée par les Alliés, promettant la liberté aux peuples colonisés, nourrit leurs espoirs. C’est dans ce climat d’attente, de frustrations et d’injustices qu’éclatent les manifestations du 8 mai.

Le 8 mai 1945, Bouzid Sâal, un étudiant, refuse de baisser le drapeau algérien. Un policier tire et le tue, déclenchant une répression avec plus de 45 000 morts à Sétif et Guelma, selon les autorités algériennes
Sétif
À Sétif, le 8 mai 1945, deux défilés sont organisés : l’un officiel, célébrant la fin de la guerre, l’autre initié par les Algériens.
Celui-ci est autorisé sous conditions strictes : aucun drapeau autre que le français, pas de slogans politiques.
Dès 8h du matin, plus de 10 000 manifestants, parmi lesquels de nombreux jeunes scouts musulmans, défilent en chantant l’hymne nationaliste “Min Djibalina”, arborant des pancartes aux messages anticolonialistes : “À bas le colonialisme”, “Libérez Messali”, ou encore “Vive l’Algérie libre”.
Alors que le cortège approche du centre-ville, un incident provoque l’escalade : Bouzid Saâl, un jeune scout arborant un drapeau algérien, est abattu par un policier. La colère éclate.
Des émeutes s’ensuivent, visant principalement les colons et les forces de l’ordre colonial.
Dès le 11 mai, le général Duval est chargé par de Gaulle de “rétablir l’ordre” dans ces trois villes. Il mobilise 2000 soldats : tirailleurs sénégalais, spahis tunisiens, tabors marocains, Légion étrangère, aviation, artillerie navale.
Les campagnes autour de Sétif sont bombardées. Les avions rasent les hameaux, les blindés tirent sur les villageois. Les mechtas sont brûlées, les villages décimés.

Le 8 mai 1945 reste une tâche noire et indélébile dans l’histoire du colonialisme français. Cette date renvoie à un « massacre de masse » de la population civile algérienne au moment où l’Europe célèbre la fin de la deuxième guerre mondiale.
Guelma
Le même jour, à Guelma, une manifestation de 2 000 personnes démarre pacifiquement depuis le cimetière Kermat. Jeunes et paysans défilent sans armes, scandant des slogans favorables à l’égalité et à la démocratie.
Mais leur arrivée dans le centre-ville, quartier européen, déclenche une réaction violente.
Le sous-préfet André Achiary, accompagné de notables locaux, tire en l’air, arrache un drapeau algérien et donne l’ordre de charger. Des coups de feu sont tirés. Un jeune militant est tué, plusieurs autres blessés.
Achiary organise rapidement une milice de 200 personnes, distribue des fusils et établit des tribunaux sommaires.
Des centaines de militants AML, de syndicalistes, de professeurs, de scouts musulmans sont arrêtés, torturés, puis exécutés sans procès. Les fusillades ont lieu à la caserne, à la carrière d’Aïn Defla ou au cimetière Errihane. Du 9 mai au 26 juin, la milice organise une véritable campagne de terreur.
Kherrata
Kherrata, ville de montagne, est également secouée par les événements. Le 8 mai, un rassemblement non violent rassemble près de 10 000 personnes.
Le lendemain, sans avertissement, l’armée française tire sur la population. Le croiseur Duguay-Trouin bombarde les montagnes avoisinantes. La Légion étrangère arrive en renfort. De nombreux civils sont exécutés et jetés dans les gorges de Kherrata.
Les milices et l’armée exécutent à grande échelle : des charniers sont remplis. Pour dissimuler les preuves, les cadavres sont brûlés dans les fours à chaux de la ferme Marcel Lavie à Héliopolis.
Pendant dix jours, les cadavres sont transportés en camions et incinérés. L’odeur de chair brûlée se répand sur des kilomètres. Le massacre ne cesse que le 26 juin, avec l’arrivée du ministre de l’Intérieur Adrien Tixier.
Bilan
Le bilan exact des victimes reste controversé.
Si les autorités coloniales de l’époque font état d’à peine un peu plus de 1000 victimes, la plupart des historiens français reconnaissent aujourd’hui entre 15 000 et 20 000 Algériens tués dans cette répression sanglante, pendant que les autorités algériennes avancent le chiffre de 45 000.
En tout cas, ce triste épisode, gravé dans la mémoire collective algérienne, et traumatisant des générations entières, a renforcé la conscience nationaliste et marqué le point de départ de la guerre d’indépendance de 1954.